Méditatif et introspectif, l’œuvre de Jacline Bussières témoigne de préoccupations philosophiques, existentielles et foncièrement humanistes. L’artiste qui, en 50 ans d’une pratique prolifique, s’est méritée les plus hautes distinctions dans l’art de l’émail, s’exprime aujourd’hui essentiellement par la peinture et la sculpture.
Silhouettes et profils évanescents tracés à même les surfaces texturées de ses tableaux comme sur des parois rocheuses, figures archaïques et anguleuses immortalisées dans le bronze ou la pierre, l’être humain dans toute sa complexité intérieure et identitaire s’est tout naturellement imposé comme thème et motif centraux d’une démarche réflexive.
Dieux, empereurs, migrants ou héros de légendes, il faut un temps d’arrêt pour voir émerger une à une les entités multiples qu’elle peint, façonne, juxtapose et
fait coexister dans un même espace pictural ou à chaque angle d’une même pièce sculptée. Celles-ci trouvent à s’incarner dans les teintes de terre, de feu et d’anthracite, dans la matière dense
et dans des constructions généralement asymétriques. La dynamique de chaque composition repose en fait sur une quête d’équilibre formel, esthétique mais également symbolique.
Depuis toujours, Jacline Bussières puise son inspiration à même son cheminement personnel, riche en questionnements, en poésie et en récits mythiques. À la fois
individu, famille, clan et collectivité, tous porteurs de mémoires affectives, d’expériences de vies antérieures et intérieures marquantes, les êtres sans âge qu’elle donne à voir sont le
reflet d’une conscience intime et universelle. L’exploration de formes originelles, à la fois primitives et modernes, concède à son art une dimension
intemporelle. Depuis peu, l’artiste intègre des collages et des fragments d’écriture à ses peintures.
Ses groupes de personnages, au bord de l’effacement, paraissent davantage campés dans des attitudes de recueillement et d’abandon. Ailleurs, dans une récente série de bustes, elle accorde un traitement différent aux profils d’un même visage. D’un côté la lumière caressant les volumes lisses évoque une beauté sereine; de l’autre, des aspérités profondes s’inscrivent dans la patine du bronze, telles des blessures creusées dans la chair.
Présences singulières et plurielles tout en contrastes et en dualités, à la fois amour et étreinte, douleur et solitude, vulnérabilité et force, cri et silence,
ombre et lumière, voilà la nature humaine qu’elle s’applique à rendre visible à l’œil par d’incessants retours sur soi.
Nicole Allard
Historienne de l’art